Il n’y a, bien sûr, pas de condamnation pécuniaire, mais le coup est rude. Le Tribunal de l’Union européenne a condamné la Commission européenne, mercredi 16 décembre, pour « avoir manqué à [ses] obligations » sur le dossier des perturbateurs endocriniens (PE). En vertu du règlement européen de 2012 sur les biocides, Bruxelles devait publier, au plus tard le 13 décembre 2013, les critères scientifiques permettant de réglementer ces molécules de synthèse agissant sur le système hormonal et présentes dans une variété de produits courants (pesticides, plastifiants, bisphénols, solvants, etc.). Or, constate le Tribunal dans son arrêt, « la Commission n’a pas adopté de tels actes » définissant les PE, en dépit d’« une obligation claire, pré́cise et inconditionnelle de [les] adopter » précisée par la réglementation.
Le Tribunal de l’Union européenne, l’une des deux juridictions de la Cour de justice de l’Union européenne, avait été saisi par la Suède en juillet 2014 d’un « recours en carence » contre la Commission.
L’affaire est une question importante de santé publique : l’exposition des populations aux PE, à bas bruit, est suspectée d’être en cause dans l’augmentation d’une variété de troubles et de maladies (cancers hormono-dépendants, infertilité, troubles métaboliques ou neuro-comportementaux, etc.). D’autres Etats membres – la France, le Danemark, la Finlande, les Pays-Bas – se sont d’ailleurs associés à la plainte de la Suède, également rejoints par le Conseil européen et le Parlement de Strasbourg.
« Ce genre de recours, de la part d’un Etat membre contre la Commission est extrêmement rare, explique-t-on à la Cour de justice de l’Union européenne. En comptant le cas présent, cela ne s’est produit que quatre fois au cours des dix dernières années. » Mais jusqu’à présent, la Commission avait toujours eu gain de cause ; c’est la première fois que la Commission est condamnée pour défaut d’action. « L’arrêt rendu impose désormais à la Commission de remédier à son inaction dans un délai de temps raisonnable, poursuit-on à la haute juridiction européenne. Le terme “raisonnable” est bien sûr difficile à définir, mais nous constatons qu’il y a déjà deux ans de retard. La Commission ne pourra pas attendre une année supplémentaire avant d’agir. »
« Etude d’impact »
Pour expliquer son retard, la Commission avait plaidé devant le Tribunal la nécessité de conduire une « étude d’impact », avant de définir les critères englobant les PE. Et ce, afin notamment d’évaluer le fardeau économique pour les entreprises, que représenterait une telle réglementation.
L’argument n’a pas été jugé valable par les juges européens, qui constatent qu’« aucune disposition du ré̀glement n’exige une telle analyse d’impact ». Des documents internes à la Commission, rendus publics dans un document récent de la journaliste Stéphane Horel (Intoxication, La Découverte, 2015) montrent que cette étude d’impact, préalable à la prise d’une définition des PE, avait été expressément demandée au secrétariat général de la Commission par l’industrie chimique européenne.
« C’est un moment rare : l’abus du pouvoir conféré par le Parlement et le Conseil européen à la Commission a été pointé par la plus haute juridiction européenne, déclare l’Alliance pour la santé et l’environnement (Health and Environment Alliance, HEAL), une organisation non gouvernementale européenne qui rassemble une soixantaine d’associations de la société civile, de syndicats de soignants ou de mutuelles. La Commission va-t-elle couper court à son étude d’impact, ou va-t-elle la poursuivre, sans considération pour le coût d’un retard supplémentaire, en termes de santé publique ? »
L’association Générations futures salue également l’arrêt rendu. « Nous nous félicitons de ce jugement, déclare son porte-parole François Veillerette. Il reconnaît clairement qu’en ne publiant pas les critères scientifiques pour la détermination des propriétés perturbant le système endocrinien, la Commission a violé le droit européen, ce que nous disons depuis maintenant deux années. »
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