Les apiculteurs français en sont tout abasourdis : le moratoire européen sur certains usages des néonicotinoïdes semble jusqu’ici avoir été inopérant. Depuis sa mise en place en 2013, l’utilisation de ces insecticides, mis en cause dans l’effondrement du nombre d’abeilles et de pollinisateurs sauvages (bourdons, papillons, etc.), a même explosé. C’est le principal enseignement des statistiques obtenues, jeudi 26 mai, par l’Union nationale de l’apiculture française (UNAF), qui a saisi la Commission d’accès aux documents administratifs (CADA) contre le ministère de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt. Selon ces données, les tonnages des cinq principaux « tueurs d’abeilles » vendus en France (acétamipride, clothianidine, thiaméthoxame, imidaclopride, thiaclopride) sont passés de 387 tonnes, en 2013, à 508 tonnes, en 2014. Soit une augmentation de 31 % en un an, malgré le moratoire. Quant aux données 2015, elles ne sont pas disponibles. « Nous avons écrit par deux fois à la direction générale de l’alimentation [au ministère de l’agriculture] pour avoir accès à ces informations, dit-on à l’UNAF. Sans réponse, nous avons saisi la CADA en février, qui vient de nous donner raison. »
Certaines molécules soumises à des restrictions par le moratoire imposé par Bruxelles en 2013 voient bien leur tonnage baisser en 2014, mais d’autres augmentent fortement. L’imidaclopride, l’une des molécules les plus toxiques pour l’abeille domestique, bondit de 36 % malgré le moratoire.
Au ministère, on relativise cette hausse, expliquant que « sur des molécules dont le tonnage total est faible, une petite augmentation peut conduire à des hausses de pourcentages qui peuvent sembler élevées ». En outre, ajoute-t-on en substance Rue de Varenne, ce n’est pas le tonnage qui permet d’évaluer l’intensité du recours aux pesticides, mais le « nombre de doses unités » (ou NODU), qui tient compte du tonnage des substances, mais aussi de leur activité chimique (certaines sont plus efficaces que d’autres) et de l’étendue des surfaces traitées.
Le tonnage des néonicotinoïdes aurait-il pu augmenter mais le fameux NODU baisser ? « Le NODU est surtout utile pour comparer l’utilisation de molécules dont l’activité est différente, dit François Veillerette, porte-parole de l’association Génération futures. Lorsqu’on suit une même substance, ou une même famille de substances, pour une même catégorie d’usages, les tonnages ne peuvent pas augmenter sans que le NODU n’augmente lui aussi. » Gilles Lanio, le président de l’UNAF, ne croit guère, lui non plus, que l’augmentation du tonnage des « néonics » puisse être associée à une baisse de leur utilisation : « Il y a des moyens pour contourner les interdictions de certains usages des néonicotinoïdes », dit-il.
« L’écart entre la réalité et le discours du ministre de l’agriculture [Stéphane Le Foll], qui se pose en défenseur des abeilles, est choquant, ajoute M. Lanio. Quand nous sommes reçus au ministère, on nous dit que les agriculteurs font de grands efforts et que les mortalités d’abeilles proviennent aussi de nos pratiques. Les chiffres montrent que c’est complètement faux. Quant à la transparence, elle n’est pas là, malgré les promesses. »
Car si l’UNAF a obtenu la transmission des chiffres détaillés de l’évolution du tonnage de chaque molécule, ses autres demandes n’ont pas été satisfaites. L’association a ainsi demandé le détail des traitements de semences par type de culture, et les superficies concernées. En vain. « Toutes nos demandes ont reçu un avis favorable de la CADA, mais celui-ci n’étant que consultatif, nous n’avons pas obtenu ces données », dit-on à l’UNAF. Au ministère, on répond que la publication de ces informations ne peut se faire qu’après un long travail, pour s’assurer que celles-ci ne trahissent aucun secret commercial des acteurs de la filière.
« Si nous n’obtenons pas l’information, ainsi que toutes celles qui ne nous ont pas été transmises, nous saisirons le tribunal administratif », dit-on à l’UNAF
Ce n’est pourtant pas tout. L’UNAF demandait aussi au ministère de lui transmettre les documents attestant de la position de la France, au niveau européen, lors des comités techniques des 27 juillet et 18 novembre 2015, au cours desquels deux nouveaux insecticides apparentés aux néonicotinoïdes (le sulfoxaflor et le flupyradifurone) ont été autorisés en Europe. La France a-t-elle voté pour ou contre l’autorisation de ces nouvelles molécules ? L’information est confidentielle. Sa divulgation, ont expliqué sans rire les services du ministère de l’agriculture à la CADA, « porterait atteinte à la conduite de la politique extérieure de la France ». La CADA n’y a cru que moyennement et a donné un avis positif à la publication de cette information. « Si nous ne l’obtenons pas, ainsi que toutes celles qui ne nous ont pas été transmises, nous saisirons le tribunal administratif », dit-on à l’UNAF.
Une autre dispute sur les néonicotinoïdes est en cours, cette fois entre l’Assemblée nationale et le Sénat. En effet, lors de l’examen en deuxième lecture du projet de loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages, la Chambre haute a défait la mesure d’interdiction totale de tous les néonicotinoïdes à partir de 2018, qu’avaient adoptée les députés. « Mercredi [25 mai], la commission mixte paritaire a échoué à concilier les deux positions, explique Delphine Batho, députée (PS) des Deux-Sèvres, coauteure de l’amendement sur les néonicotinoïdes. Le texte va donc revenir les 7 et 8 juin à l’Assemblée, en commission du développement durable. »
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